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Compte rendu de « Manifeste de l’islam italien »

Stefania Carriglio

Compte rendu de l’ouvrage de Francesca Bocca Aldaqre, Manifesto dell’Islam italiano

 

Francesca Bocca-Aldaqre est née en 1987 à Piacenza (Italie). Docteure en Neurosciences des systèmes, écrivaine et poète, elle est actuellement professeure de théologie à l’Istituto Italiano di Studi Islamici, de langue et culture arabe à la Società Umanitaria de Milan et fondatrice de l’Istituto Islamico di Studi Avanzati. En 2023, deux de ses ouvrages Nietzsche au paradis : Vies parallèles entre islam et Occident et Sous ses pas naissent les fleurs : Goethe sur le chemin de l’islam sont traduits en français par Éditions Fenêtres.

En 2024, les Éditions Mimesis publient son dernier livre Manifesto dell’Islam italiano que nous présentons ici.



L’écriture de l’ouvrage  (Manifeste de l’islam italien) naît du besoin d’introduire l’islam dans la pensée italienne, « au-delà du bavardage », c’est-à-dire d’enclencher un intérêt réel sur ce qu’est véritablement l’islam dans son essence. En effet « la dimension du bavardage envahit le discours islamique “pop” en Italie » et ici l’islam est toujours « réduit à ce que l’on pense ou à son opposé à réfuter apologétiquement. » (p. 139). Tout au long des chapitres, l’auteure Francesca Bocca s’efforce de souligner la présence de l’islam en tant qu’identité existante ayant besoin d’être reconnue comme « partie d’un tout », capable d’enrichir l’identité italienne en devenir. Pour réaliser cet objectif, il est nécessaire de dépasser la perception commune du musulman en Italie comme synonyme d’« identité suspecte », et comme « ayant besoin d’un représentant ».


De fait, ce qui transparaît de l’analyse de la lecture est que l’obstacle à la reconnaissance du musulman italien en tant qu’« identité à part entière » se situe dans le fait que ce dernier n’ait pas été conçu ni médité dans son « authenticité », et par conséquent méconnu, mal interprété ou en somme, comme affirme l’autrice « monstrifié » (p. 51).


En d’autres mots, d’après l’auteure, la résistance à une intégration authentique découle de la perception de la présence de l’islam comme figure qui puisse porter atteinte au pays. Comme si inclure le musulman signifierait perdre « l’italianité » ; ces deux réalités sont en fait « cristallisées dans l’inconscient collectif comme incompatibles » (p. 24).  L’islam en Italie, perçu comme « culture aux marges » (marginalisées sont aussi les rares mosquées totalement décentralisées), affirme l’auteure, n’est pas envisagé en tant que phénomène à part entière, mais « réduit aux problématiques d’immigration et d’extrémisme ».

En outre, Francesca Bocca essaie de montrer qu’il y aurait beaucoup plus à découvrir au-delà de ce qui est strictement « visible » de l’appartenance identitaire à l’islam (p. 17), c’est‑à‑dire l’aspect extérieur – voile, barbe, longs habits, turban, etc.). Cette focalisation sur le débat de l’islam « visible » est souvent mise en avant par ceux qui ne sont pas musulmans et, bien souvent, ne connaissent pas directement les musulmans en Italie (p. 17). D’ailleurs, le risque serait de tomber dans un piège qui ne ferait qu’augmenter le « bavardage » puisque « l’islam réduit à ce qui apparaît engendre l’illusion d’une primauté de la forme » (p. 127). La conséquence est le manque de réflexion autour de l’intériorité du musulman, sa psyché, ainsi qu’une « ethnicisation » de la religion (p. 109).


Une question ultérieure mise en relief est l’absence d’un échange fructifiant sur l’islam italien dans le milieu académique, ainsi que l’absence ou la dissimulation (du moment où l’appartenance est perçue comme une honte) d’intellectuels ouvertement musulmans. De surcroît, l’auteure met l’accent sur le fait que même dans ce milieu se produisent des « catégorisations inadaptées à la systématisation millénaire produite par l’islam » (p. 90).

 

Pour tenter de solutionner les enjeux présentés et de remettre les pendules à l’heure, Francesca Bocca propose, au fil des chapitres, des points d’accrochage (de la littérature à l’histoire, en citant des personnages illustres italiens convertis à l’islam, etc.), afin de concevoir un horizon commun voué à un échange profitable où la parole de deux parties (islam et italianité) serait considérée avec la même légitimité. Si de l’échange jaillit la lumière, il est urgent de reconnaître le musulman italien comme réel interlocuteur – et plus comme suspect constamment sous enquête – à qui prêter oreille afin qu’il « ne soit pas soumis à une représentation forcée de ses propres besoins, de ses propres prétentions et de son identité » (p. 17).

 

Pour réaliser cela, l’auteure invite à fuir les simplifications, surtout linguistiques, et à aller « outre la prétention minimale d’intégration », et par conséquent à engendrer « un début de la pensée islamique italienne » (p. 100). Outre l’urgence d’être introduit dans la culture, l’auteure propose de donner voix à l’islam italien à travers la création d’environnements inclusifs et surtout par la mise en place d’une identité narrative du musulman dans le quotidien, principe fondamental pour son « auto‑détermination ». En dernière instance et afin de restituer un visage net de l’islam italien il faudrait, d’après l’auteure, tout d’abord reconnaître la possible coexistence d’identités parallèles – musulmane et italienne – à qui accorder la parole à travers le recueil de biographies de la vie quotidienne.

 

Pour conclure, il serait convenable de mettre en avant quelques enjeux semblables au contexte français, pour que le travail mené par Francesca Bocca-Aldaqre nourisse d’autres perspectives à prendre en compte. À ce propos, nous introduisons certaines considérations soulevées en 2017 dans la Revue d’Ethnologie Française, Islam en France : pratiques et vécu du quotidien, afin de donner un aperçu sur la situation analogue du panorama français.

 

Dans l’introduction de cette revue, Marie‑Luce Gélard se réfère en effet à une présence considérable des polémiques et controverses autour de l’islam, ce qui entraînerait « une mise à l’écart de musulmans ordinaires[1] », d’où les débats autour de la « visibilité » de l’islam en France ayant une primauté sur l’islam vécu[2] ». Par ailleurs, les recherches sur l’étude des données textuelles est mise en exergue, ainsi que l’hégémonie détenue par le discours des sciences politiques sur l’islam en France, ce qui placerait au deuxième plan l’ethnographie de l’islam au quotidien. Elle poursuit en affirmant que « des chercheurs et écrivains sont taxés d’“islamo‑gauchisme”, une formule choc pour décrire une prise de position spécifique consistant à faire entendre aussi la voix des musulmans et, surtout, à combattre leur rejet[3] ». M. L. Gélard rebondit sur le fait que quand l’islam est sujet de mention, les thèmes récurrents reposent sur « de nombreux a priori, y compris chez les chercheurs : les rapports de domination entre les sexes, la remise en cause de la laïcité (par le port du voilenotamment)[4] », l’amalgame entre appartenance et origine, la violence, etc.

 

En dernier lieu, « les exposés sociologiques et anthropologiques de l’islam en France et du vécu quotidien des musulmans sont rares[5] » et quand ils existent ils ne reçoivent pas beaucoup d’écho. Enfin, d’après Francesca Bocca « l’islam italien est en train de naître à travers une identité narrative […] qui remet au centre la personne et son histoire » (p. 121) et pour que la communauté musulmane italienne puisse affirmer son existence dans la culture qui viendra, le prochain pas à envisager serait la reconnaissance de son autonomie.

 

En conclusion, cet ouvrage nous permet d’ouvrir – parallèlement - de nouvelles pistes de réflexion et d’étude sur le fait islamique français pour la recherche sociologique à venir. En effet, se focaliser davantage sur la dimension « plurielle » des croyants (musulmans et français), pourrait permettre d’aller au-delà de la « pathologisation[6] » de l’appartenance religieuse.


Cette approche, comme le fait remarquer la sociologue Leïla Babès (1997), citée par la sociologue Myriam Laakili, envisage l’islam français en dehors des termes de « déchirement », de « contradiction », « d’incompatibilité », de « dilemme » et de « rupture[7] », afin – et sans oublier le but même de l’ouvrage Manifesto dell’Islam Italiano – de faire dialoguer authentiquement religion et ethnicité.



[1] Marie-Luce Gélard. « L’islam en France : pratiques et vécus du quotidien. » Ethnologie française, 2017, Vol. 47 (4), 599-606.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] Myriam Laakili, thèse de doctorat en sociologie, « Se convertir à l’islam aujourd’hui en France : entre cheminements individuels et appartenances communautaires », Aix-Marseille Université, sous la dir. M. Tozy, p. 15.

[7] Ibid.








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